18 juin 2008

Exactement !

"L'épineuse question des livres, jamais résolue, se pose à tout Occidental alphabète autour de la cinquantaine qui pendant toute une vie accumule des bouquins et répugne à s'en séparer. Les résidences secondaires sont justement faites pour cela : desserrer la pression de cette force qui menace et rassure. Un moyen élégant de les mettre en maison de retraite. On leur fait de temps à autre une visite, on se persuade qu'on garde le contact.
Au commencement de la vie active, quelques volumes sont rangés sur une étagère du salon ou de la chambre. A mesure que les années passent, ils prolifèrent insidieusement dans toutes les pièces. Tous les murs disparaissent, recouverts de rayonnages. Cet encombrement est parfois un sérieux motif de discorde dans un couple. Sans être bibliophobe - mais il peut le devenir - le conjoint voit l'espace familial se rétrécir et réclame un beau jour une solution énergique. Il l'appelle, selon les cas, un nettoyage, un écrémage, un tri. Quand il parle de coup de balai, c'est que la situation est grave. Dans le monde des bibliothécaires, cette opération de sélection se nomme désherbage. C'est un mot terrible, épouvantablement expressif. Désherber une bibliothèque, c'est enlever les ouvrages devenus inutiles. Selon quels critères faut-il sarcler ? Le choix est laissé à la discrétion des bibliothécaires. Ce bon plaisir, ce droit de vie ou de mort sur les auteurs ont quelque chose de terrifiant - et de nécessaire."

Jean-Paul Kauffmann, La maison du retour, Folio